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Grand Angle : La communauté en 2020, où en est-on ?

· La vie participative,Habitat participatif,Rencontres

En 2020, le mot “communauté” est devenu péjoratif, négatif… Que s’est-il passé ces dernières années pour que la société devienne si individualiste qu'elle se méfie des uns et des autres, au point de déconsidérer ceux qui souhaitent vivre ensemble de manière plus collective ? Pourtant, nous vivons actuellement une phase de transition d’un point de vue politique, culturel, social et environnemental… Une des solutions ne serait-elle pas de développer un voisinage solidaire et convivial ? Petit tour d’horizon pour comprendre comment l'idée de communauté a évolué à travers les siècles.

L’être humain, et cela a été prouvé, ne peut vivre seul en autarcie sans risquer sa santé mentale (la plupart du temps, il existe des exceptions). L’Homme est un animal social qui a besoin de vivre en groupe, et ce depuis la nuit des Temps. Les peuples de la préhistoire vivaient en communauté, avec ses avantages et ses inconvénients, et c'est cela qui leur a permis de survivre et d'évoluer. À notre époque, le succès fulgurant de Facebook l’a également démontré avec la mise en avant des groupes à travers des communautés, des personnes qui se rassemblent autour des mêmes buts, des mêmes valeurs ou de causes communes.

Pour Ôfildesvoisins, Jean-Michel Huctin, Enseignant-Chercheur en anthropologie et spécialiste des Inuits, revient sur l’évolution de la perception de la vie en communauté en France et chez les populations autochtones afin d’apporter des éléments de réponse.

Ôfildesvoisins : D’où vient ce rejet des communautés en France ?

Jean-Michel Huctin : C’est un problème historico-politico-culturel. À différentes périodes de l'histoire, on a cherché à stigmatiser certaines minorités, ceux qui étaient différents de la majorité, pour des raisons idéologiques ou racistes. D'un autre côté, à la fin du 19ème siècle, avec la consolidation de la République, la nation française s’est unifiée politiquement en diminuant l'importance culturelle des communautés locales avec leurs patois au profit d’une communauté nationale aux mêmes valeurs et parlant la même langue sur tout le territoire. Aujourd'hui, on apprécie certes toute la diversité des cultures locales qui fait la richesse de notre pays mais on est attaché à l'idée d'unité et d'égalité. On a du mal à comprendre que nous pouvons être égaux, ou vouloir l'être, tout en étant différents...

Et puis, il y a quelque chose de plus récent, comme le repli identitaire, c’est-à-dire le fait que certains individus se referment sur eux-mêmes au sein de leur communauté. Cela peut être vécu comme une menace pour la cohésion nationale. C’est un débat qui existe en France mais aussi dans d’autres pays. La France est intégrationniste de tradition politique tandis que dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, sont plus multiculturels. Là-bas, il est socialement accepté de promouvoir un modèle de société composé de groupes parfois peu ouverts sur l'extérieur. Enfin, pour expliquer la méfiance qui peut exister vis-à-vis de l'idée de communauté ou même de l'habitat participatif, je pense aussi à l'attachement à la propriété individuel (logement, meubles, équipement...), à l'individualisme citadin et au recul des convivialités locales...

Les évènement récents comme les attentats qui ont frappé le pays ces dernières années y sont-ils pour quelque chose ?

Les attentats, je ne sais pas mais il est vrai que des craintes se sont développés face à des replis identitaires qui peuvent sembler néfastes, notamment concernant des communautés locales qui se rassemblent d’un point de vue religieux et ethniques bien que leurs membres soient souvent nés en France. On peut confondre communauté et communautarisme. C’est ce contexte qui donne le ton du mot “communauté”. Nous pouvons aussi avoir en tête les communautés religieuses ou le stéréotype des communautés hippies des années 1968. Nous avons donc en fait peu de représentations véritablement positives de la communauté ou adaptées à la vie actuelle.

Qu’entend-on finalement à travers le mot “communauté” ?

C’est un mot très vague qui peut signifier beaucoup de choses… Et c’est loin d’être seulement un regroupement de personnes autour d’une appartenance religieuse ou d’une ethnie. Il y a le territoire qui peut rassembler comme le quartier, le village, la région, mais aussi une identité commune, une profession, une activité, un projet de vie... On parle par exemple de la communauté homosexuelle, de celle des joueurs de jeux vidéos, des habitants d'un habitat participatif, etc. En fait, le mot de communauté est devenue synonyme de "regroupement".

De manière générale, c’est un peu difficile de définir ce qui est une communauté parce qu'il existe différent critères d'appartenances et que cette appartenance n’est pas figée. À notre époque, on peut passer d’une communauté à l’autre plus aisément que par le passé, les identités peuvent être multiples et fluctuantes : on peut se sentir Français le matin, Breton le midi, et citoyen du monde le soir !

Vous connaissez bien certaines populations autochtones, notamment les Inuits. Comment peut-on s’en inspirer pour redonner une note positive au terme “communauté” en France ?

Il ne faut pas faire de généralités sur les populations autochtones, les situations étant différentes selon les endroits dans le monde, et les cultures peuvent varier. Malgré ces différences, on peut voir dans le mode de vie de ces populations, une tendance à favoriser les activités collectives et la cohésion culturelle.

Pour parler des Inuits, ils ont cette particularité d’avoir un sentiment d’appartenance très fort à leur communauté et cette conscience qui vient du passé qu'on ne peut survivre sans s'entraîner. Du coup, l'intérêt du groupe prime souvent sur l'intérêt individuel et on cherche à créer des réseaux de solidarité. Dans nos sociétés occidentales, c’est quelque chose qui s’est amenuisé avec le développement du capitalisme, la recherche du profit individuel et son corollaire social l'individualisme, pour ne pas dire “le chacun pour soi”.

Au sein des communautés autochtones, il y a souvent cette nécessité d’agir ensemble, de se respecter les uns les autres, notamment les aînés, et bénéficier des avantages et de la force de certaines membres de la communauté. Ceux-ci n'agissent pas seulement pour eux-mêmes ou leurs propres profits mais pour le bien commun, pour tout le monde. Par exemple, pour les Inuits, la chasse aux mammifères marins conduit au partage de la nourriture dans les familles et les cercles d'amis, voire pour les gros mammifères à une répartition plus généralisée au sein de la communauté.

Néanmoins, les communautés autochtones subissent également une évolution vers un individualisme qui ressemble au nôtre, une moindre cohésion aujourd’hui par rapport à ce qu’elle a pu être dans le passé. Ces peuples ne vivent plus de manière isolée, ils font partis du monde, de notre monde à tous qui érige la propriété privée et le profit individuel en modèle idéal. Heureusement, ces populations sont toujours moins individualistes que nous car elles continuent de garder un peu de cette organisation collective, de ce sentiment d'appartenir à un groupe et ce besoin d'agir pour le bien commun.

Quel est l’avenir de la communauté, selon vous ?

Je pense que cet avenir sera dans une forme d’équilibre social et culturel qui soit bienveillant, respectueux de ce qui fait nos différences, nos points de vue, nos envies, nos désirs… C’est cela que certains essaient de construire difficilement aujourd’hui dans notre société divisée socialement, avec des intérêts différents, des idéologies opposées et des difficultés à agir ensemble.

La recherche scientifique a montré que les êtres humains ont besoin de vivre dans un groupe où ils se sentent bien, c’est-à-dire un groupe qui reconnaisse la propre valeur de chacun de ses membres. L’équilibre est donc à trouver entre l’individuel et le collectif, ce qui n'est pas facile pour tout le monde.

La société inuit du passé avait justement trouvé cet équilibre entre la nécessité de chasser individuellement et de partager avec les autres pour faire survivre le groupe. Seul, il était extrêmement difficile de le faire car on ne pouvait pas compter sur des réseaux de solidarités forts.

L’individu était donc dépendant du groupe mais le groupe laissait une certaine liberté et autonomie qui permettaient à ses membres de développer certaines qualités propres.

Ce que j’espère, c’est que l'on puisse s'inspirer de ces sagesses autochtones et que l’avenir nous laissera des portes ouvertes pour expérimenter d'autres formes possibles sur lequel construire une société humaine meilleure.

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